L’Art du Warm-Up
Personne ne semble la comprendre. Personne ne semble la respecter. Pourtant il se pourrait que ce soit la partie la plus importante d’une soirée. Cet article explique pourquoi le warm-up DJ mériterait peut être plus de crédits que la tête d’affiche.
Traduction et synthèse de l’article du site ResidentAdvisor.net : ‘the esoteric art of the opening DJ’
Il y a plusieurs paramètres à prendre en compte lors de la production d’un évènement de musique électronique. Certains sont évidents : un lieu adéquat avec un équipement sonore de qualité et une déco avenante sont les parties matérielles qui créent un environnement accueillant pour la foule.
Mais il y a des facteurs plus subtils qui font la différence entre un évènement ‘mémorable’ et ‘une soirée sympa’. Des barmen rapides, des toilettes bien dimensionnées, un personnel de sécurité professionnel, tout ceci contribue à la perception général que se fera le public de la soirée. Lorsqu’elles sont faites correctement, ces choses sont imperceptibles. Mais si vous devez faire la queue une demi-heure pour aller pisser dans des toilettes inondées alors que dans la salle le DJ retourne les clubbers, votre nuit va se noyer dans la chasse d’eau.
Le dernier élément essentiel pour une bonne équation est le DJ qui s’occupe de l’ouverture. Sur un concert, si la première partie est minable, il y a une pause le temps de changer les équipements, la tête d’affiche arrive alors et la soirée commence vraiment. Dans un club, la musique ne s’arrête que rarement à partir du moment où le premier morceau est lancé. Ce flux continu de son est maintenu jusqu’à ce que les lumières se rallument, à la fin de la soirée. Un bon DJ joue avec ce flux et manipule l’energie de la salle par un set méticuleusement choisi.
Mais un DJ star ne joue presque jamais dès que les portes s’ouvrent. Un ou plusieurs opening DJchauffent la salle, font en sorte que les gens s’amusent et que l’alcool coule à flots jusqu’à l’heure d’arrivée du principal DJ. Et de nombreux promoteurs ne semblent pas conscients de l’importance des warm-up. Un DJ qui n’est pas à la hauteur de cette tâche va dissiper l’énergie de la salle avant même qu’elle ne se concrétise. Dans le meilleur des cas, les gens vont rester au bar et s’adosser aux murs jusqu’à ce que le principal DJ arrive. Dans le pire des cas, le club va se vider avant même que ce dernier n’ait pu mettre son premier disque.
Dans de nombreux cas, le DJ du warm-up a plus de challenge à accomplir que la star. Réfléchissez : il doit débuter avec une salle vide et des gens sobres qui ne sont pas venus pour l’écouter.
Le DJ d’ouverture doit créer une ambiance et en même temps préparer musicalement l’arrivée du suivant. Selon Steve Lawler « Le warm-up est en fait le travail le plus dur et décide de la tournure générale de la soirée. Si le Dj du warm-up fait du bon boulot, les gens le ressentent, et dans 99% des cas, ce sera une super soirée ».
La plus grosse difficulté à surmonter lors d’un warm-up est de programmer un set qui va doucement s’intégrer avec le DJ qui va suivre. Magda, de Minus Records, précise : « Vous devez savoir pour qui vous ouvrez la soirée et comment jouer afin d’éviter de se laisser dépasser par le son. » Chaque tête d’affiche a un style musical différent auquel doit s’adapter le premier DJ.
Un bon DJ de première partie doit posséder deux qualités : avoir conscience de la progression musicale de la soirée, et un choix large et éclectique de morceaux. Craig Richards est d’accord. Après 10 ans de résidence à Fabric – le club de Londres le plus respecté – Craig est réputé comme étant le meilleur warm-up DJ au monde. C’est une situation qu’il accepte totalement : « Par le passé j’ai souvent choisi de faire le warm-up. C’est un véritable challenge qui, s’il est fait proprement, peut mener vers un accomplissement musical. »
Les grands DJ de warm-up connaisse leurs morceaux et savent parfaitement doser l’effet de chacun d’eux sur le dancefloor. Pour Yousef « ils doivent connaître le tempo, le groove, l’energie et voire même la texture de chaque titre. ». Cette sensibilité à la façon dont la musique influence la foule permet au DJ de commencer sa patiente tâche de remplir le dancefloor.
Pour Christian Martin : « Votre job est d’extirper les gens du bar et de faire grossir le petit noyau de danseurs arrivés tôt afin d’en faire un dancefloor plein à craquer. C’est important de faire attention à l’ambiance sur la piste et d’ajuster votre set en fonction, sans partir en vrille trop tôt. » La dernière remarque de Christian Martin amène une autre qualité indispensable des grands DJs d’ouverture : la maîtrise.
Lee Burridge se lamente : « je connais plein de mes amis DJs qui ont énormément de mal à jouer après un warm-up raté, trop énergique et souvent bien trop puissant ». Selon lui, un bon DJ qui fait l’ouverture « doit savoir comment le DJ suivant va commencer son set , et pas comment il le finira. » Burridge avoue que lorsque le warm-up est trop puissant, il lui arrive « de couper totalement le son afin de recadrer l’énergie des clubbers ».
« J’ai fait le warm-up de tant de DJs que j’ai réalisé il y a bien longtemps que la nuit ne reposait que sur mes épaules », continue-t-il. « C’est difficile à accepter pour de nombreux nouveaux DJs car ils veulent gagner l’attention des gens. Mais cette attitude perturbe le déroulement graduel d’une soirée. ». Beaucoup de Djs voient le warm-up comme une occasion de montrer ce dont ils sont capables, mais le résultat de cet enthousiasme est souvent le contraire de ce qu’on attend d’eux. Yousef admet que lorsque le set d’un DJ de warm-up « vous tape sur la tête comme un marteau », avec des morceauxuptempo ou tubesques, « il peut être sûr qu’il ne reviendra pas ».
Mais il ne s’agit pas seulement de garder le tempo sous les124 bpm et de jouer de la deep house. La signature d’un bon warm-up DJ se définit par la passion dans la musique qu’il joue. Comme Steve Lawler l’explique, « vous pouvez faire la différence entre un DJ qui s’est contenté d’acheter le top 100 deep house sur Beatport, et celui qui aime et collectionne la musique qu’il joue. Vous pouvez toujours entendre la passion d’un DJ lors de son set ».
Craig Richards va même plus loin : « je suis persuadé qu’un amoureux de la musique – et pas forcément un Dj – est fait pour ce job. Les gens qui peuvent s’oublier eux-mêmes ». Les meilleurs DJs de première partie sont de vrais amoureux de la musique, de ceux qui collectionnent d’obscures morceaux, éclectiques, juste pour le plaisir. Ces Djs connaissent si bien leur musique qu’ils savent intuitivement quel morceau jouer à quel moment. »
Ouvrir une soirée nécessite la capacité d’oublier ce que vous voulez jouer et, au contraire, d’avoir conscience de ce que les gens sont prêts à entendre. « Dans cette position, vous devez trouver le juste milieu entre être vous même et soucieux de savoir ce qui va marcher sur les dancefloors. », explique Yousef. « Je ne joue que la musique que j’aime, mais j’ai suffisamment d’expérience pour apprécier une sélection large de musique électronique. ». Tous les Djs avec lesquels je me suis entretenu insistent sur l’ouverture d’esprit nécessaire et, plus important, la patience de tenir et de doucement faire monter la tension jusqu’à l’arrivée de la tête d’affiche.
Lee Burridge et Steve Lawler pensent tous deux que le role du warm-up est aussi important que le leur. Steve Lawler essaie d’emmener son Dj de warm-up avec lui lors de ses prestations, « comme ça je sais que l’énergie sera parfaite quand ce sera à moi de jouer ». Mais ils savent que c’est le promoteur qui choisit souvent un DJ inadéquat pour le warm-up, et parfois qui « rentre dans la cabine du DJ pour lui dire de faire monter la sauce ». Dans les deux cas, cela montre que le promoteur ne sait pas comment doit se dérouler une soirée. A chaque fois qu’ils ont à faire à un promoteur nerveux qui veut voir la piste remplie de monde les bras en l’air dès le début, tous les DJs avec lesquels je me suis entretenu savent que ça se fait au détriment de la soirée. Pour Craig Richards « Il n’y a rien de pire qu’une soirée qui s’enflamme trop tôt – c’est comme une soupe qui vous brûle les lèvres ou des rideaux qui laissent passer la lumière ».
Cela en vient à poser la question suivante aux promoteurs de soirée : si vous êtes prêts à dépenser autant d’argent pour avoir un DJ international, pourquoi ne pas en profiter pour en dépense un peu plus et offrir à votre guest DJ une première partie correcte ? Les DJs embauchés pour faire des warm-up sont le plus souvent inexpérimentés et encore plus souvent sous payés.
A l’évidence, les bons DJs de warm-up ne sont pas là pour l’argent. A l’inverse, ce sont peut être les plus purs fans de musique dans tous les sens du terme. Et puisque l’art du DJ d’ouverture est subtil, ils ne reçoivent que très rarement les accolades. Les médias se focalisent plus sur la tête d’affiche que sur le warm-up, et seuls les clubbers patentés sauront reconnaître le talent qu’il faut dans la nuance et la maîtrise de la construction d’une ambiance. Cela laisse pour seuls remerciements ceux du DJ star.
En fait, la plus belle des récompenses est de pouvoir explorer des territoires musicaux que la tête d’affiche ne pourra se permettre. Jouer en warm-up « justifie l’achat de disques que vous savez n’être bons que pour un moment précis », précise Craig Richards. « La chance de pouvoir écouter ces morceaux sur des enceintes à fond a été et sera toujours mon moteur. Jouer des morceaux deep, délicats, au moment où cela à un sens est un plaisir intense pour un homme comme moi qui recherche la vérité dans la musique, pas sous les flash des photographes. ».
Les soirées qui marchent ont toujours su reconnaître ce qu’un DJ de warm-up amène : l’ambiance, qui est la base même de tout évènement.
Steven Jamal
13/04/2013 at 17:38
Un GRAND ARTICLE merci de reconnaitre la vrai valeur des Warm-upers 😀
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