DJing et nouvelles technologies
Après les nombreux bouleversements dans la façon dont la dance music est faite et jouée, est-ce que la technologie a rabaissé l’art du Djing ou emmené la dance music dans des endroits qui étaient encore inconcevables il y a peu ?
(Traduction et adaptation de l’article ‘Total Confusion’ Paru dans DJ MAG #77)
NOTA : le terme ‘dance music’ est utilisé dans cet article tel quel, ce n’est pas un terme péjoratif pour les anglais, il définit toute la musique de clubs, de la disco à l’electro.
Depuis les dix dernières années, le paysage de la dance music a été considérablement modifié, a tel point que ce que nous tenions pour acquis en 1999 a définitivement disparu.
Le changement le plus évident, et ce qui a radicalement changé toute la société : la montée irrésistible et implacable d’Internet. Pour tous ceux qui contrôlent le business de la musique, le World Wide Web n’a pas été autre chose qu’un coup de couteau dans le dos. Pour tous les amoureux de la musique, Internet est le paradis du son. Cependant, grattez la surface et Internet pourrait bien être un peu plus ambivalent que cela.
Que les labels aient trouvé un nouveau business model pour profiter de ces nouvelles formes de revenus, cela peut paraître une victoire pour ceux qui voient les majors d’un mauvais œil, mais cela a aussi eu de profondes répercussions pour le fan de musique. Le web a sonné le glas de toutes les boutiques spécialisées et c’est une tragédie. Leur remplaçants – les boutiques en ligne -, malgré toutes les meilleurs volontés du monde, n’arrivent pas à les remplacer proprement.
L’autre changement est aussi arrivé de la sphère technologique. Alors qu’il y a dix ans, voire même 5, la plupart des DJs utilisaient toujours le vinyl, aujourd’hui ceux qui s’accrochent à ce bout de plastique sont en minorité. L’équipement dont dispose un DJ de nos jours est plus important – les logiciels de musique ont tant apporté que les possibilités pour les DJs semblent infinies. Certains voient cela d’un bon oeil.
Dave Clarke précise que la nature même de la musique électronique repose sur les avancées technologiques, et vouloir arrêter ce mouvement serait hypocrite, bizarre et futil : « La techno et l’electro en particulier ont toujours eu un regard sur le futur. La technologie digitale a complétement changé la façon dont la musique est produite et le métier de DJ. Je trouve étrange que tant de producteurs et de DJs restent coincés dans le passé. C’est un peu comme aller à l’encontre de l’essence même de la musique. »
Néanmoins, certains prétendent qu’une telle confiance dans la technologie a rabaissé l’art du DJing; n’importe qui peut être DJ de nos jours. Le fait est que vous pouvez pré-programmer vos sets, les logiciels vous permettent de mixer automatiquement dans le tempo, et tout ce que doit faire un DJ est d’appuyer sur quelques boutons sur son portable et hop ! Bien entendu, il s’agit de plus que cela, mais l’argument est clair. Est-ce que ces mêmes DJs pourraient démontrer leurs talents avec un sac rempli de vinyls et deux platines Technics ?
L’ETAT DE CONFUSION
Certains diront « et alors ? ». Les choses changent tout le temps, il faut vivre avec son temps. Le fait est qu’ils n’ont pas tout a fait tort. Les gens sortent toujours danser, de grands morceaux continuent de sortir. Mais il ne s’agit pas de dire que tout est positif.
« Toute la scène electronique repose sur la technologie, donc vous devez la suivre », nous dit Dave Seaman. « il s’agit juste de savoir quand l’utiliser ». « Exactement », renchérit Dave Clarke, « c’était super de voir Kool DJ Herc faire toutes ces choses impressionnantes avec juste deux vinyls, mais la technologie a évolué. C’est fou de voir comment certains DJs ont la tête dans le sable ‘je ne vois rien, je n’entends rien, je ne dis rien’ ! Ok, le vinyl c’était super, c’était un objet physique et vous le possédiez, mais c’est fini. Et il y a toujours de la Musique. »
D’autres ne sont absolument pas d’accord. Le pionnier de la NuDisco, Prins Thomas, est de ceux qui pensent que la prolifération de la technologie digitale a été très mauvaise pour la dance music : « Les MP3 ne sont pas de la musique. C’est juste un fichier. Il n’y pas de pochettes, pas d’objet physique. Je comprends que certains ne s’en soucient pas, mais sur le long terme cela change votre idée de ce qu’est la musique. Elle devient jetable. Les MP3 sont jetables.
Vous pouvez télécharger sur des sites et des blogs, mais je pense que c’est bien d’acheter un *vrai* morceau de musique. »
Avant que vous ne traitiez Prins Thomas de nageur à contre-courant, il soulève les mêmes questions que tout le monde se pose : « Il y a trop de musique produite. Tout le monde utilise le même logiciel, le même équipement, et résultat la dance music a perdu beaucoup de sa personnalité. Les labels signent tous des morceaux qui se ressemblent car tout le monde fait des morceaux qui se ressemblent.
Beaucoup de producteurs ne recherchent que la gloire alors ils copient le dernier tube. Les labels deviennent fainéants car ils ne font que de signer les morceaux écoutés sur MySpace. Il n’y a plus assez de contrôle qualité et nous coulons dans un océan de médiocrité ».
CERCLE VICIEUX
L’icone trance John ’00’ Flemming pense que nous sommes pris dans un cercle vicieux, dont la faute en revient principalement aux boutiques en ligne et à la fermeture des boutiques spécialisées.
« Un acheteur sur un site en ligne se voit aujourd’hui confronté à 25 ou 35 pages de nouveautés par semaine. Par le passé, une boutique ne pouvait se permettre de stocker tous les disques, alors les responsables de ces boutiques devaient avoir des oreilles magiques. Il y avait un filtre. Ce processus n’existe plus et il devient de plus en plus difficile de trouver de la bonne musique. »
Comme il y a plus de musique, selon lui, les morceaux les plus génériques se vendent le mieux. Ainsi les nouveaux compositeurs pensent que c’est la seule musique qui se vend. « La mort des boutiques spécialisées a été catastrophique pour la dance music. Lorsque vous êtes un DJ établi et renommé, c’est ok, vous recevez des nouveautés directement. Mais vers qui sont censés se diriger des nouveaux DJs ou compositeurs ? Qu’arrive-t-il si au final seuls ceux qui ont le pouvoir et sont en place font de la musique ? »
Autrefois, toujours selon John Flemming, la dance music n’était faite que pour un endroit : le dancefloor. « C’était là qu’un morceau naissait et qu’il vivait ou mourrait. Des clubs underground de tout style ont été des terreaux fertiles pour des futurs hits commerciaux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est à celui qui aura meilleur service marketing. Cette dernière décennie a été marquée par de la musique créée par le service marketing. »
Un plus grand choix de musique disponible ne signifie pas toujours une meilleur qualité. Le nombre impressionnant de nouveautés chaque semaine donne mal au crâne, et le fait qu’un producteur chez lui peut faire un morceau le matin et le vendre le soir même ajoute à la confusion.
L’accès a une technologie moins onéreuse a ouvert les portes à ceux qui n’auraient jamais été capables de faire de la musique, pour des raisons de coûts. Dans de nombreux cas, c’est une bonne chose. Malheureusement vous devez éviter des tonnes de merdes pour enfin avoir quelque chose de décent.
TROP LISSE
Dave Seaman soulève un autre problème lié à la quantité de morceaux disponibles : les niches.
« Autrefois, il y avait une trentaine de sorties par semaine, et sur plusieurs styles musicaux : hiphop, house, garage, techno. Vous deviez être créatifs. Maintenant, vous pouvez faire un set de 12 heures de 2-step acid suédoise. Et il vos restera encore des morceaux pour la semaine d’après. Du coup, la plupart des morceaux deviennent linéaires et cliniques. Les Djs n’ont plus à naviguer dans les différents styles. Les choses sont devenues trop lisses.
C’est difficile de comparer deux époques. Je ne veux pas dire que les choses étaient mieux avant. Mais ce qui est certain, c’est que c’est différent. »
LE MEILLEUR DES MONDES
Après tout, comme nous le disons en début d’article, ne devrions nous pas simplement accepter la différence ? La technologie offre des possibilités illimitées, elle permet aux DJs d’emmener leurs sets vers des endroits jamais rêvés auparavant. Dave Clarke, pour une fois, applaudit notre monde meilleur :
« La technologie a changé le terrain de jeu. Certains critiquent le fait que tous les DJs pré-programment leur set et ne jouent que les derniers hits. Dans les faits, c’est vrai. C’est un crime de pré-programmer son set, les têtes d’affiche peuvent être tentées de le faire, mais ces dernières ont toujours eu le même dénominateur commun : gaver les foules avec des MacTubes. »
Cependant : « Quand je mixe, j’ai accès à plus de musique. Je peux faire un set de 4 ou 5 heures sans soucis. Alors qu’avant, j’arrivais avec mon sac de 90 disques, grand maximum, et je commençais à m’inquiéter au bout d’une heure et demi. C’est fini désormais. Les gens disent que la technologie a nivelé le terrain de jeu, ce n’est pas vrai. Elle a permis à ceux qui savent mixer, et qui sont imaginatifs, d’aller vers d’autres niveaux. »
Mo Beach, la moitié des Glimmers, est idélament placé pour nous en parler : « Cela a changé notre façon de mixer. C’est un nouveau moyen de jouer de la musique. Cela nous a certainement motivé pour être encore plus créatif car il y a tellement de chose que tu peux faire ».
Il cite Ableton comme une preuve de ces nouvelles possibilités. « Il y a toujours une compétence nécessaire – vous ne devez jamais oublié les clubbers. Vous leur devez une fête, et peu importe la technologie utilisée. »
Dave Seaman est entièrement d’accord : « Soyons honnêtes, la plupart des gens vont en club pour faire la fête. La plupart s’en foutent de savoir quelle musique vous passez, et avec quoi vous la passez. Ils veulent juste s’amuser. ». Il met en avant la myriade de bidouillages créatifs que vous pouvez faire pendant un set : « vous pouvez faire vos propres bootlegs, edits, changer le tempo et les octaves. Toutes ces boucles et ces petits trucs que vous ne pouviez pas faire avec des vinyls ».
Tous ces petits trucs, justement, est-ce de la triche ? « Non, ce n’est pas de la triche », retorque Mo Beach. « Vous devez toujours avoir la connaissance musicale et vous devez être capable de sentir la foule. Ce sont les deux choses les plus importantes pour un DJ. Pour moi, peu importe le format que vous utilisez. C’est ce qui sort des enceintes qui est est le plus important. »
LE GRAND BORDEL ?
John Flemming reste sceptique : « Les anciens DJs devaient préparer leur nuit dans un club. Il faisait un travail de préparation, à la maison, en recherchant des morceaux. Aujourd’hui, tout cela a disparu avec Internet. L’ancienne génération de Djs discutait entre eux, se rendait visite, écoutant les nouveautés des uns et des autres. Maintenant, avec les forums et les radios en ligne, c’est fini. C’est à celui qui aura les plus gros tubes. ».
Et cela pose un réel problème lorsque des jeunes DJs sont bookés dans des clubs. Au lieu de faire proprement leur travail de warm-up pour chauffer la salle, comme c’est de coutume, c’est tout de suite boum-boum-boum. Les tubes, la grosse machine, l’artillerie lourde. Le bordel.
« Ils pre-programment leurs sets », soupire-t-il. « Et ils n’ont aucune moyen de le changer en cours si quelque chose ne va pas, car tout est écrit à l’avance sur un ordinateur. Quelque chose a foiré à un moment donné. Ok, vous avez de superbes histoires comme celle de DeadMau5, mais, en général… »
« Le problème est que tout le monde regarde les Tiesto, Guetta, van Buuren et veut être comme eux. Il y a une époque où les gens jouaient selon leurs goûts. »
Pour John, les Djs et leurs agents ont trop de pouvoir : « Avant, c’était les promoteurs qui avaient le pouvoir. Ils savaient ce qui marchait dans leur club. Maintenant, les Djs et leurs agents peuvent dicter ce qu’ils veulent. Depuis l’heure à laquelle ils doivent jouer, combien de temps durera leur set, voire même qui d’autre sera booké en même temps. Les frais sont devenus dérisoires, ce qui a fait exploser le prix des billets. ».
Le futur nous reserve d’excitantes possibilités. Dave Seaman pense que nous aurons le même débat dans 15 ans. « Il y aura de nouvelles générations de DJs, et ils feront les choses différemment. Mais lorsque vous commencdez à dire ‘ce n’a pas aussi bien que ça l’était de mon temps’, alors c’est vous qui n’êtes pas aussi bon.